lundi 30 septembre 2019

L’art de la (chanson) couture !




 Il existe quelques rares compositeurs, particulièrement doués dans la "chanson couture". Ou la « chanson puzzle », une technique qui permet de rassembler des petits bouts de chansons trop courts pour être exploités comme une entité. Des brouillons inachevés, laissés dans un tiroir, et qu’ils reprennent un jour, pour les joindre avec d’autres parties écrites ultérieurement, et qui avec un « pont », parviennent à faire de trois ébauches, une seule pièce aboutie. 

Freddy  Mercury,  6 thèmes pour sa "Rhapsodie"

Freddy Mercury (Queen), était très fort à ce petit jeu, et il suffit de citer « Bohemian Rhapsody » pour illustrer cette technique d’assemblage qui peut dans certains cas être brillante. Les musicologues distinguent 6 parties dans la « Rhapsodie » en question. Mercury avait déjà fait ses preuve sur « Liar » du premier album (1973), avant d’atteindre une certaine perfection avec « The March of the Black Queen », une prouesse de l’album « Queen II » (1974). Le même disque comporte une autre composition « morcelée » avec « The Fairy Feller’s Masterstroke/ Nevermore », autre petit chef d’œuvre du genre. L’exercice peut s’avérer dangereux (autrement dit, peu convainquant), quand l’œuvre réunis des ébauches de compositeurs différents. Sur leur troisième album de Queen, « Sheer heart attack » (1974), une succession de trois parties : une écrite par Roger Taylor (« Tenement funster »), suivi de deux de Mercury (« Flick of the Wrist » et « Lily of the valley »), s’enchaînent bien, mais leur succession n’était pas indispensable. Il y aura encore « The Millionnaire waltz » sur « A Day at the race » (1976), et peut être d’autres oeuvres dont les coulisses nous sont inconnues. 

Ce sujet m’est venu à l’idée alors que sort ces jours-ci la version augmentées de « Abbey road » (1969), dont Gilles Martins (le fils du génial Georges) a reçu (comme pour « Sgt Peppers » et le double « White album »), la responsabilité de sortir une version anniversaire qui ne soit pas indigeste. Le talent du fils semble suivre celle du père et ces missions furent  réussies jusqu’à présent. Elle se terminera avec l’album
« Let it be » (1970), que j’aurais bien échangé avec une version augmentée de « Revolver » (1966), qui n’est pas prévue. 


The Beatles en studio, 1968

« Abbey Road », le vrai dernier album des Beatles est connu pour contenir sur sa face B, les « patchworks » les plus géniaux du rock que sont « You never give me your money » de Paul Mc Cartney, construit sur 3 parties ; la suite « Sun King »/ « Mean Mr Musterd »/ « Polythene Pam »/ « She came in through the bathroom window » co-écrite par Paul et John ; et enfin « Golden Slumbers »/ « Carry that weight »/ « The end”, qui porte la marque de Mc Cartney. Ces trois assemblages virtuoses font peut-être de « Abbey Road », le meilleur album des quatre musiciens, que seule la présence de « Octopus’s garden » et « Maxwell’s Silver Hammer » sur la face A, affaibli le  niveau du répertoire. Remplacez ces deux derniers par « Old brown shoe », le chef d’œuvre sous-estimé de George Harrisson, et « The Ballad of John and Yoko », deux chansons inclues dans cette version revisitée, sortis en single à la même époque, et nous avions l’album parfait. 
Mais déjà, alors que les Beatles composent de manière individuelle depuis 1965, l’album « Sgt Peppers » (1967) comporte la fameuse pièce onirique « A Day in the life », sur laquelle Paul vient greffer la partie centrale (celle du réveil matin), avant de revenir au thème principal de John. Un dépannage luxueux ! 



Par la suite Paul Mc Cartney démontrera son intérêt pour ces petits jeux de compositions sur plusieurs thèmes. Sur « Ram » (1971), il crée de la sorte « Uncle Albert/ Amiral Halsey », avant de délivrer un des exemples les plus évidents avec « Band on the Run » (1973). Dans ces exemples, Paul utilise la méthode de manière à apporter un climax que l’auditeur sait qu’il aura droit à un certain moment de la chanson. Et jusqu’au dernier album « Egypt station » (2018), il ne peut s’empêcher de s’adonner à ce jeu comme sur « Despite repeating warning », qui enchaîne clairement 4 thèmes sur 7 minutes, dont l’un n’est pas sans rappeler « Live and let die » (1973), encore une chanson (générique du premier
James Bond avec Roger Moore), fait de plusieurs parties, dont l’instrumentale apocalyptique reste l’apogée de la chanson. De cette même époque Paul compose « Venus and Mars/ Rock show » que le musicien augmente de « Jet », en version  en public. Avec ses lignes vocales entrelacées, Paul aurait pu nous refaire le coup avec « Silly Love song » (1976), mais cela nous aurait privé d’un délicieux exercice de chorale croisée. 
D’autres titres de Paul furent composés en plusieurs parties, mais ce fut la conséquence de titres inachevés, et retravaillés par la suite. 
En conclusion, cette technique me permet de rendre hommage au travail de Gilles Martins, qui dans ses remixages augmentés de quelques versions intéressantes ou inédites, a rendu un travail honorable, sans tomber dans le piège d’en faire, ou d’en donner trop ! 

PS : Cette nouvelle version revisitée d’«Abbey Road » sort ces jours-ci en coffret vinyls, Cd’s, et pour se faire plaisir, remasterisé en picture disc. Pour ceux qui n’aurait pas cet album essentiel déjà sur leur étagère.

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